J’ETAIS ETRANGER ET VOUS M’AVEZ ACCUEILLI
Le thème de l’étranger n’est pas dans la sémantique de saint Vincent. La révélation, biblique, elle, introduit les étrangers comme un des critères du jugement dernier « j’étais étranger et tu m’as accueilli ». Toute cette révélation rend le croyant attentif au migrant à celui qui se déplace parce qu’ à la suite d’Abraham, le premier à se mettre en itinérance par appel, le Peuple de Dieu, sera inscrit dans l’exode et il ne s’établira en un lieu fixe qu’en entrant dans l’époque des Rois qui vont alors donner une demeure à Dieu jusqu’alors lui aussi, nomade. Avoir cette mémoire vive fait des croyants des hommes et des femmes sensibles aux problèmes de l’itinérance.
Il m’a été donné de traduire des contributions de confrères sur ce thème. Ce qui m’intéresse est de l’avoir retenu comme thème de l’année des 400 ans alors qu’il n’est pas la devise d’une des branches de la famille vincentienne ; à ce titre, il peut plus facilement devenir l’objet de l’attention de tous et de chacun.
Cette proposition est aisément traduisible dans nos repères vincentiens par l’énoncé, l’attention aux plus pauvres. Ce thème peut nous conduire, nous l’espérons, à renouveler notre approche du charisme laissé par st Vincent. Un charisme qu’il nous arrive de diluer dans le discours culturel ambiant empreint de craintes de l’envahissement, car nombre de nos pays se laissent gagner par la peur de l’étranger venant prendre les ressources trop peu abondantes et risquant de nos faire crouler sous le nombre, effaçant les repères de notre tradition croyante au profit de l’islam.
S’il est vrai que les textes de saint Vincent ne parlent pas d’étranger, c’est qu’il n’est pas un terme contemporain de Monsieur Vincent. Dans les écrits dont nous disposons nous remarquons 50 fois le mot ‘turc’, 26 fois le terme ‘réfugié’ 4 fois ‘indigène’ et 2 fois ‘barbaresques’. Et puis st Vincent cite la bible dans sa traduction de la vulgate, en latin donc.
Cependant, lorsqu’il parle des Barbaresques c’est pour inviter les missionnaires à former des prêtres indigènes pour que se prolonge la mission auprès des barbaresques : donc pas un terme dépréciatif, mais descriptif.
Lorsqu’il parle des réfugiés nous savons qu’il décrit une réalité de nombreuses personnes touchées par les conséquences des guerres : pauvres, paysans, nobles, religieux, qui vont être une de ses grandes préoccupations de 1639 à 1659. Il veillera à ce que celles et ceux qui ont dû rejoindre Paris pour fuir les dangers de leur région soient reçus dignement ce qui implique logement nourriture et aliment spirituel afin de vivre cette épreuve sans que ne soit perdu le sens de son histoire. A ceux qui n’ont pu se déplacer il enverra aide économique et matérielle et des semis pour que reprenne la vie après la période de trouble, il encouragera les magasins de Paris (gigantesques commerces de charité qui recueillaient vêtement et matériel pour soutenir les personnes fragilisées par les désastres).
Tout est pensé : même l’impression de feuillets appelées « les Relations», publiés grâce aux récits de la Compagnie du Saint-Sacrement qui décrivent les scènes de guerre pour permettre de sensibiliser les parisiens aux misères afin qu’ils participent à la collecte de fond. Informer est une constante de l’expérience de Mr Vincent, insistance qui l’animera jusqu’à la fin. Même préoccupation des vincentiens qui souvent en France au service de populations de culture de l’islam se demandent comment remplir cette part de leur mission. [Comment parler de Dieu aux accueillis de tradition religieuse différente du christianisme ?…].
Nous avons aussi vu qu’il y a le terme « turc » qui désigne tous les musulmans, essentiellement d’Afrique du Nord ainsi que les turcs à proprement parler. Bien que les royaumes chrétiens souffrent la piraterie en Méditerranée et des aspirations hégémonique des sultans turcs qui ont hérité du califat islamique, st Vincent a une unique préoccupation le soutien spirituel des prisonniers. Il sait que ne sont admis pour ces tâches que des prêtres ou religieux eux-mêmes prisonniers, c’est la raison pour laquelle il va acquérir, grâce aux subsides de la duchesse d’Aiguillon, les consulats de Tunis et Alger. Les premiers missionnaires qui partiront seront prêtres et frères médecins : il montre sa préoccupation du soin de toute la personne, par le soin physique et le soin spirituel. Alors qu’il échangeait un courrier avec le P Julien Guérin à Tunis, dans lequel il dit la confusion qu’un turc lui a donné alors qu’il tentait de réconcilier entre deux chrétiens à la suite d’un différent, ce dernier lui a souligné :« Mon Père, entre nous autres turcs il ne nous est pas permis de de rester trois jours mal avec notre prochain encore bien qu’il eut tué quelqu’un de nos proches parents » (III, 978). Il sait montrer ce qu’ils ont de beau dans leur culture qu’il nous faut imiter pour être de bons chrétiens.
Dans la charte des missionnaires envoyés, malgré les mauvais traitements que beaucoup vont subir il rappellera que nous ne devons « Ne jamais disputer de religion, ne rien dire pour la mépriser » [charte missionnaires avant le départ de Mr Nouelly et du frère Barreau pour Alger en XIII, 306]. Il rappelle que « l’exemple de ces prêtres fervents et dévoués, le rayonnement intime de leur charité, pouvaient donner aux musulmans une idée plus juste du christianisme » [Mémoire de la mission de barbarie].
A notre tour, au service de ces populations présents dans notre pays, nous redoublerons de respect en inviterons à cette même attitude ; cette préoccupation du soin de la personne qui caractérise Monsieur Vincent devrait tous nous marquer. Je pense là tout particulièrement aux derniers venus en France. Je pense au jardin communautaire sur Valfleury où une sœur de la charité aidait des migrants à cultiver des légumes pour améliorer leur ration alimentaire. Il y a l’accueil dans l’ancien séminaire interne du Berceau de migrants d’Ethiopie, Somalie et Afghanistan pour offrir le logement, leur prise en charge étant relayée par des associations locales.
Aujourd’hui l’étranger n’est pas la seule personne d’un autre pays, même si les médias centrent notre attention sur l’important phénomène migratoire en provenance d’Afrique. Au cœur de nos sociétés des personnes sont étrangères non en raison de leur couleur de peau ou de leur couleur, mais parce qu’elles ont perdu leur lien sociaux désocialisées : les sans-abris. L’équipe de DePaul France, récemment installée, a mis sur pied un service visant à améliorer leur hygiène corporelle en proposant des bus-douches. Nous pouvons aussi évoquer un service inventé par des conférenciers dans l’ouest de la France : face au refus des sans-abris d’accepter d’être reçus en hébergement d’urgence avec leur chien, ils vont créer un chenil pour ces personnes.
Nous le savons aussi, certains de nos services ont recours à des psychologues pour aider à apprendre des codes de communication lorsque les populations touchées par la pauvreté perdent certaines notions de correction.
Même si les médias centrent notre attention sur l’important phénomène migratoire en provenance d’Afrique, il y a dans notre société les personnes victimes des déplacements pour servir dans le commerce du sexe. J’ai en mémoire l’aimable intention d’un membre de la société de st Vincent, d’âge déjà avancé, qui s’était proposé avec sa femme, lorsque les conférences de sa ville ont été sollicitées pour aider à extraire d’un réseau de prostitution des jeunes filles sourdes muettes, à les cacher dans sa maison. Il était prêt à répondre des risques auxquels une telle situation l’exposait s’il était découvert.
Il y a cet autre travail conduit par un collectif né autour des conférences et des équipes pour accompagner la mort des sans-abris. Ils ont mis en place un service d’accompagnement des funérailles des personnes décédant à la rue. Dix ans passeront avant qu’un représentant de l’islam ne s’associe à cette action pour accompagner les personnes de culture islamique. Ce service va progressivement évoluer face aux demandes des services funéraires municipaux qui les interpellent pour accompagnent les personnes de plus en plus nombreuses qui décèdent en maison de retraite ou chez elles et sans descendance, et qui n’ont plus de lien avec personne.
Cela redonne à cette association la place que Monsieur Vincent aurait prise. Aujourd’hui l’étranger n’est pas la seule personne d’un autre pays, ils retrouvent les conseils de st Vincent aux premières dames dans leur service des pauvres qui ne s’achevait que lorsque les pauvres étaient enterrés avec les honneurs nécessaire à tout humain.
Je pense aussi aux villes où nous disposons d’équipes saint Vincent, de conférences, d’établissements scolaires de maisons d’enfants à caractère social. S’habituer à se rendre compte que ce ne sont que des déclinaisons différentes d’un service aux personnes plus pauvres, que ce soit par la protection de l’enfance, par l’éducation ou par l’accompagnement social et culturel. Je pense à cette ville où les équipières donnent des cours de français en langue étrangère et ont pu s’ouvrir aux personnes de la Société saint Vincent de Paul recherchant un tel service. Et la Société st Vincent ayant une initiation à l’informatique a pu la mettre à disposition des personnes reçues par les Equipes.
Je pense aussi à ce lycée technique qui a fait des collectes de cadeaux à Noël pour les jeunes de la prison pour mineurs, à un autre établissement scolaire technique qui accueille quelques jeunes poly-dys d’une maison d’enfant associant ainsi leurs efforts pour un service intégral des jeunes les plus fragilisés.
Je pense aux jeunes de DePaul qui, en Angleterre, ont développé un projet de formation au sport pour les jeunes de la rue et en France un service d’hygiène – par des bus douches- dans deux grandes villes.
Cette autre conférence va créer un groupe de lecture spirituelles de la Bible suite à la demande d’un des accueillis musulman. Heureux de ce partage ils vont jouer ces textes qui les touchent et avoir l’idée de créer un groupe de théâtre qui fera la partie spectacle des journées nationales en France, voici trois ans.
Enfin le succès des tables de Fred : tables dominicales contre la solitude, au prêt banque du pauvre (sans intérêt) développé par une équipe saint Vincent qui rentre dans ses comptes dans les quatre années suivant le prêt.
Je conclurai par trois consignes :
• Lorsque nous rencontrons un pauvre retenons notre jugement sur l’origine de sa pauvreté. Cela risque de nous instituer juge au lieu de l’aider à se sortir de son impasse, mais cherchons avec elle ou avec lui, à l’aider à trouver des issues à sa situation concrète qui le réduit à devenir un « cas ». [un jeune tétraplégique a préféré se vider seul durant la nuit, son infirmière le considérant comme un as). Souvenons-nous que pour Vincent, la souffrance n’est que Dieu travaillant à achever son œuvre :
« Voilà comment Dieu permet que ceux qui le servent soient dans la souffrance. Mais, Monsieur, me direz-vous, montrez-nous comme cela se fait ? Mes filles, il en est de nous comme d’une pierre de laquelle on veut faire une belle image de Notre-Dame, de saint Jean, ou de quelque autre saint. Que doit faire le sculpteur pour venir à bout de son dessein ? Il faut qu’il prenne le marteau et ôte de cette pierre tout le superflu. Et pour cela, il frappe dessus à grands coups de marteau de sorte qu’à le voir vous diriez qu’il la veut assommer ; et puis, après qu’il a ôté le plus gros, il prend un plus petit marteau, après cela le ciseau, pour commencer à former la figure avec toutes ses parties, et enfin d’autres outils plus délicats pour la mettre dans la perfection qu’il désire donner à cette image. Voyez-vous, mes sœurs, Dieu en use de la sorte à notre égard. » (X, 183-184).
• Si nous recevons un pauvre rappelons-nous que c’est un être en situation de pauvreté, un être vivant en situation transitoire écoutant ses besoins (un mendiant à qui j’offrais un ticket de cinéma et qui pleurait car personne ne lui avait fait un tel cadeau depuis plusieurs années et m’a dit : « j’irai d’abord prendre une douche »). Rappelons-nous le « tournez la médaille » de St Vincent ….Comment recevons-nous Jésus ?
« Je ne dois pas considérer un pauvre paysan ou une pauvre femme selon leur extérieur ni selon ce qui parait de la portée de leur esprit ; d’autant que bien souvent ils n’aient pas presque la figure, ni l’esprit des personnes raisonnables tant ils sont grossiers et terrestres mais tournez la médaille et vous verrez par les lumières de la foi que le Fils de Dieu qui a voulu être pauvre nous est représenté par ces pauvres » XI, 32
• Enfin lorsque nous cherchons à trouver un chemin pour la personne, établissons comme partenaire et n’oublions pas d’agir en réseaux : si nous ne pouvons pas agir seul, certainement d’autres vincentiens en proximité vont pouvoir nous accompagner (je n’ai pas de cours de FLE je les envoie chez à la Société SVP qui en a, je n’ai pas de cours d’informatique alors que les Equipières en ont ; je vois comment arranger la prise en charge).
« Y trouverait-on six pauvres qui ne soient en état de gagner leur vie et nous avons cru être obligés de leur en donner le moyen en leur distribuant des haches des serpes et des rouets à filer pour faire travailler les hommes et les femmes qui ne soient plus à charge de personne » IV, 132.
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