Frères et Sœurs Vincentiens,

Mme Yasmine Cajuste

Les différentes réflexions de ce jour constituent, au-delà de leurs thématiques particulières, un ensemble qui nous invite à reconsidérer la diversité de nos expériences vincentiennes et à envisager les chemins d’avenir qui s’offrent à nous.

Mon intervention sur la formation et la communication vincentiennes en vue de la mobilisation à l’âge de l’information se situe donc dans le cadre présenté un peu plus tôt par notre frère. Permettez que j’en rappelle quelques éléments :
– Nous sommes appelés à accueillir l’étranger en cette année jubilaire et au-delà de ce temps de célébration, ce en fidélité à l’esprit de notre fondateur qui a su partir à la rencontre de l’autre, des plus défavorisés, dans une attitude d’ouverture permettant la transformation du cœur et du regard sur soi et sur le monde ;
– La Famille Vincentienne, en tant que mouvement, va au-delà des limites imposées par nos structures organisationnelles pour unir les agents de changement que nous sommes autour d’un objectif commun : la fin de la pauvreté, un monde plus juste et plus fraternel, la construction de sociétés où chacun a sa place, l’avènement du Royaume …

En partant de cela, nous allons voir comment, la Famille Vincentienne est appelée à redécouvrir le Christ et Saint Vincent comme modèles essentiels d’éducation et de communication. La contemplation du récit des disciples d’Emmaüs et le rappel de la tradition vincentienne deviennent ainsi les fondements pour une formation et une communication fidèles aux origines mais attentives à notre temps. A l’écoute des plus pauvres, en particulier de l’étranger qui doit être accueilli en frère, le mouvement vincentien peut ainsi devenir un agent de changement qui fait de l’éducation une démarche permanente de transformation intérieure et collective et qui utilise la technologie comme outil de mobilisation au service du Royaume. Cette approche requiert l’identification courageuse des défis d’aujourd’hui et la mise en place de stratégies communes, audacieuses et efficaces pour y répondre.

1. Le Christ messager et maître

Réfléchir sur ce que doit être la formation et la communication vincentiennes, c’est d’abord considérer l’exemple de Celui en qui nos vies s’enracinent : le Christ lui-même, messager du Père. La venue de Jésus sur la terre peut s’articuler sur différents aspects de l’Evangile, mais l’essentiel de sa mission consiste à révéler aux hommes l’amour de Dieu. Il est donc porteur d’un message : Il vient nous révéler qui est Dieu et son projet d’amour pour l’humanité. Tel est le sens de l’enseignement de Jésus : le sermon sur la montagne, les paraboles, ses entretiens avec les uns et les autres recueillis dans les évangiles disent, dans un langage compréhensible pour les hommes de son temps, la grandeur et la profondeur de l’amour de Dieu pour sa création et pour l’homme en particulier. Mais au-delà de la parole, Jésus, qui est Dieu lui-même, vient communiquer l’expérience de son intimité avec le Père, à laquelle il souhaite voir participer ses disciples et tous ceux qui croient en Lui. Il est venu offrir aux hommes la possibilité de devenir enfants de Dieu. Comme le confirme Ga 4, 4, dans la plénitude des temps, il est venu nous conférer l’adoption filiale ; par l’Esprit, nous pouvons crier « Abba » et nous sommes véritablement fils et héritiers de Dieu.

Ce message qui est expérience exige d’une certaine manière deux éléments importants : les actes/les gestes qui expriment cet amour de Dieu dans l’aujourd’hui de la vie des hommes et, en parallèle à la montagne sur laquelle il prêche, le mont du calvaire sur lequel il donne sa vie pour le salut de tout l’homme et de tous les hommes. Ainsi, celui qui était monté sur la première montagne pour enseigner les Béatitudes et qui les avait manifestées dans l’accueil des malades et des foules devait nécessairement monter sur la seconde pour aller jusqu’au bout de ce qu’il avait prêché.

Avec le Christ, nous découvrons donc dans une dynamique de communication et de formation fondamentalement existentielle : elle naît d’un message à transmettre (l’Evangile, la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu), se réalise dans une rencontre interpersonnelle et le partage d’une expérience qui provoquent la transformation personnelle et incitent à la mission, à l’engagement envers les autres.

De nombreux passages bibliques dévoilent cette démarche pédagogique du Christ : Zachée, la Samaritaine, la guérison de l’aveugle-né, etc. Aujourd’hui, nous nous arrêtons un instant sur le texte des disciples d’Emmaüs connu de tous. Le récit apparaît dans l’évangile de Luc, au chapitre 24, les versets 13 à 35. On en retrouve une brève mention dans Marc 16, 12-13. Ce passage, qui constitue le paradigme de l’itinéraire catéchétique du mûrissement chrétien, a fait l’objet de nombreuses études et les limites de temps ne permettent ni sa lecture ni une analyse détaillée. Rappelons-en les faits principaux tout simplement : deux disciples découragés abandonnent Jérusalem où le Christ a été crucifié, somme de leurs espoirs déçus ; ils rencontrent un inconnu sur le chemin et découvrent, au pain partagé, qu’il s’agit du Christ ressuscité ; laissant Emmaüs où ils s’étaient rendus, ils reviennent auprès des autres disciples pour faire connaître leur expérience.

De ce texte d’une richesse extraordinaire, je me contenterai de souligner quels aspects particulièrement importants pour le thème qui nous intéresse, la formation et la communication vincentiennes. Remarquons ce qui suit :
– C’est Jésus qui prend l’initiative de la rencontre : « Jésus en personne s’approcha et il faisait route avec eux » (v. 15). Il commence donc par se situer au niveau de leur cheminement, s’intéressant à leur histoire et cherchant à découvrir leur intérieur. Naît alors une catharsis qui les stimule à parler de ce qui leur tient à cœur.
– Jésus profite de la désillusion des disciples d’Emmaüs et de leur confusion pour leur expliquer les Écritures, réchauffer leur cœur et les mener à la table de l’Eucharistie (v. 17-31). La rencontre s’approfondit dans le dialogue, permettant aux disciples de parcourir jusqu’au bout le chemin qui mène à reconnaître Jésus : l’écoute de la Parole qui change le cœur et le partage du pain en communauté.
– Au moment de reconnaître Jésus, les disciples reprennent le chemin de Jérusalem : il y a un nouveau regard, une nouvelle motivation, une lueur à l’horizon. Ils font un choix et, ayant reconnu Jésus, ils vont annoncer leur propre expérience faite sur le chemin et dans la maison autour de la table, ce qui leur permet d’entrer dans l’expérience de foi pascale et de s’intégrer pleinement à ce nouveau peuple de Dieu.

Le récit des disciples d’Emmaüs souligne que la formation-éducation ne consiste pas tant à enseigner quelques idées. Ce qu’il faut, par conséquent, c’est une culturation personnelle, sociale et spirituelle continue. Il s’agit d’une démarche par laquelle l’être humain se fortifie dans la direction qu’il veut donner à sa vie, dans le but de continuer son chemin de mûrissement et de plus-vie dans la foi et dans la spiritualité. Ce mûrissement n’est pas uniquement le fruit de l’effort humain, qu’il s’agisse de l’enseignement par le maître ou de la démarche du disciple ; au cœur de cette expérience, se trouve l’Esprit Saint qui accomplit l’initiation. Son action est rendue possible ou préparée par l’accueil, prévu ou inattendu, du Maître qui prend le temps de faire route avec l’autre pour le disposer à accueillir et reconnaître la présence de Dieu. C’est pourquoi, vers la fin du récit, alors que les deux disciples le reconnaissent enfin, le Christ s’efface, non pas pour les laisser seuls, mais pour les rendre plus libres en passant en eux et en leur permettant désormais de vivre libres, à l’écoute du maître intérieur.

 

2. Formation et communication dans la tradition vincentienne

Cette attitude d’accueil et d’ouverture, cette présence qui guérit, cette harmonieuse corrélation entre les paroles et les faits, cet appel aussi à mettre sa vie en jeu aux rendez-vous décisifs de Dieu sont autant d’éléments continuellement présents dans l’expérience vincentienne, des origines à nos jours.

De Vincent à nos institutions éducatives modernes, des débuts du charisme vincentien au dynamisme actuel de la Famille Vincentienne, cette démarche a inspiré le travail de formation et de communication vincentienne. Il ne nous est pas permis de le considérer à fond, mais il nous suffit de signaler quelques aspects de la tradition vincentienne sur ce plan :
– S’il est vrai que ni Vincent ni Louise n’étaient pédagogues au sens strict du terme, leur action éducative s’est toujours inscrite dans le cadre général du service des plus défavorisés. Elle constitue un complément nécessaire aux efforts pour aider les personnes marginalisées à sortir de l’ignorance et de la pauvreté. C’est ainsi que sont nées les premières écoles vincentiennes et que Vincent a établi la Congrégation de la Mission dont l’une des tâches principales était la bonne formation du clergé.
– La vision de la formation s’inscrit dans la perspective globale de la mission et du cheminement chrétien. Grâce à son propre parcours spirituel et au fil du développement de ses œuvres, Vincent en vient à saisir une vérité importante qui devient une de ses maximes préférées : « Les pauvres sont nos seigneurs et nos maîtres ». Mystique de la charité, Vincent se nourrit de la relation intime avec Dieu dans la prière, ce qui le rend capable de reconnaître le Christ présent en ceux qu’il rencontre et de manifester son amour miséricordieux dans sa relation aux autres, aux plus défavorisés, et dans son dynamisme missionnaire.
– Les biographes de Saint Vincent témoignent par ailleurs de son talent de communicateur. Ils soulignent avec admiration qu’il a écrit plusieurs milliers de lettres, sans compter les conférences du mardi qu’il a présidées avec une pédagogie remarquable ; chacune de ses initiatives avait pour but de consolider et d’étendre la mission qu’il s’était vu confier. Partant des préoccupations, des questionnements et des doutes de ses interlocuteurs ou destinataires, Saint Vincent a su leur transmettre sa propre expérience, faire connaître et soutenir l’œuvre vincentienne, les animer à une intelligence profonde de l’Evangile pour le service des pauvres.
– A travers les siècles, cette tâche d’éducation et de communication centrée sur le service des pauvres a pris des formes diverses chez les disciples de Saint Vincent : Marguerite Naseau (autodidacte et soucieuse de partager ses connaissances) , Ozanam (enseignant, défenseur de la foi et apprenant aux côtés de Rosalie), Catherine (messagère passionnée mais discrète de la Vierge), Rosalie (sœur aux multiples facettes), Elisabeth Seton (fondatrice du réseau scolaire américain), pour ne citer que ceux-là. Chacun d’eux a perpétué à sa manière cette richesse en accueillant la vie de Dieu et en la transmettant en œuvres et en actions pour les frères et sœurs, les aidant à passer du statut d’exclu à celui de sujet debout.

 

Il faudrait s’arrêter un instant ici pour signaler certains aspects méthodologiques de notre démarche. D’une part, parler d’éducation et de formation vincentiennes revient à considérer une incroyable variété d’expériences incluant différentes pratiques et des contextes multiples. L’éducation se réfère d’abord aux cadres formels d’enseignement et d’éducation : écoles, universités, cours de formation vincentienne, séminaires ou noviciats. Il s’étend aussi à l’ensemble des espaces moins structurés où la formation a lieu de manière explicite ou pas : les réunions habituelles de nos groupes, les sessions/camps/missions, les rencontres et toute occasion bonne pour enseigner. Pour tenir compte de cette diversité, nous éviterons de nous limiter à l’un ou l’autre aspect pour fixer notre attention, dans la mesure du possible, sur la démarche éducative en soi, au-delà de ces particularités. D’autre part, parler de communication en vue de la mobilisation, c’est partir de la communication en tant que démarche de transmission d’une information, d’un message qui touche, transforme et engage. Du Christ à nos jours, l’essentiel de ce message se trouve dans l’Evangile, vécu et interprété en Eglise, accueilli et incarné dans une variété de cultures, de langues, d’organisations, de générations, etc. Quelques éléments communs ont caractérisé l’œuvre vincentienne d’éducation et de communication à travers les siècles :
a) L’écoute attentive et continue de l’Evangile, célébré et vécu en Eglise, mais accueilli aussi dans le quotidien, là où Dieu se manifeste à travers les événements et les personnes. Cette écoute implique des démarches aussi variées que la méditation, la relecture de la vie et le partage communautaire du vécu intérieur.
b) La capacité de sortir à la rencontre de l’autre, ou plutôt du Christ dans l’autre, et de l’accueillir là où il est (espace physique, circonstances personnelles, culture, langage, etc.) tout en se laissant transformer par cette rencontre.
c) Le souci continu de transmettre l’Evangile, en paroles en en actes, pour étendre le Royaume de Dieu par des actions concrètes qui manifestent la présence salvatrice de Dieu dans la vie des hommes.
d) L’action en collaboration avec d’autres, et en premier avec ceux que nous servons, en vue d’une plus grande efficacité. Cet effort en commun est compris, non pas comme un accessoire, mais comme un aspect essentiel pour la crédibilité et la réussite de la mission.

Voilà donc quelques éléments de la formation et la communication que nous, Vincentiens du 21e siècle, sommes appelés à vivre et à actualiser pour que notre charisme, vieux de 400 ans, ne perde rien de sa fraîcheur et de son pouvoir de transformation du monde.

3. Les défis du monde actuel

Un parcours historique des œuvres vincentiennes depuis l’époque de Saint Vincent et de Sainte Louise révèlerait aisément que chacune est née à l’initiative d’une ou de plusieurs personnes qui ont su reconnaître un appel du Seigneur en leur temps et qui ont agi pour répondre à un besoin. Les œuvres dans lesquelles nous sommes engagées aujourd’hui continuent d’obéir à cette dynamique d’un regard ouvert sur le moment présent, de cœurs et de mains qui s’engagent avec d’autres au service des plus démunis. Les besoins et la manière de répondre sont pourtant bien différents de ce qu’ont vécu nos prédécesseurs vincentiens. C’est pourquoi je voudrais brièvement offrir une vision d’ensemble des défis du monde dans lequel nous vivons. Je suis consciente de l’audace de cette démarche, qui risque d’être incomplète, mais qui est importante pour la suite de notre réflexion.

Le contexte historique actuel se caractérise par de grandes mutations technologiques, politiques et économiques. La mondialisation s’est imposée avec ses effets contradictoires et son exigence d’une interconnexion permanente. Dans ce contexte planétaire entièrement renouvelé, se pose la question du sens ultime de notre existence et de celle du monde, avec un rejet des formes traditionnelles de foi et de spiritualité. Dans la Gaudium et Spes, aux numéros 52 à 75, le Pape souligne quelques-uns de ces défis :
– Une économie de l’exclusion et de la disparité sociale qui s’accompagne d’une « mondialisation de l’indifférence » et qui engendre la violence.
– Une nouvelle idolâtrie de l’argent qui gouverne au lieu d’être au service de l’homme.
– Une culture dominante qui privilégie l’apparence et néglige le réel.
– Un processus de sécularisation qui tend à réduire la foi et l’Église au domaine privé et intime et rend plus difficile l’inculturation de la foi.
– Des cultures urbaines marquées par la lutte pour vivre, l’apparition de nouvelles cultures porteuses de nouvelles orientations de vie, la cohabitation d’une grande variété de formes culturelles et différentes formes de corruption et de criminalité.

Dans ce contexte, quels défis particuliers pour la formation et la communication vincentiennes ? Il me semble qu’ils s’organisent autour d’éléments de notre tradition chrétienne et vincentienne apparemment remis en question par la société post-moderne :
– Une éducation/formation intégrale qui tienne compte de toutes les dimensions de la personne ;
– Une formation ancrée dans la culture et la réalité sociale, économique et politique, éclairée par la richesse de l’enseignement social et doctrinal de l’Eglise ;
– Une communication qui profite des possibilités inouïes offertes par le développement de la technologie ;
– Une formation et une communication qui tiennent compte du rapport au temps morcelé et rapide ;
– Une formation et une communication qui disposent et préparent à l’action en communion avec d’autres, en favorisant une culture de la rencontre ;
– Une remise en question de nos pratiques individuelles et institutionnelles (relation aux ressources dont nous disposons, utilisation de l’information pour l’action, vision commune, etc.) qui rende possible la dynamique d’un mouvement vincentien.

4. Quelques stratégies en faveur d’une formation et d’une communication pour la mobilisation

Face aux défis présentés, il est essentiel que la Famille Vincentienne dans son ensemble prenne le temps de réfléchir sur les stratégies qui lui permettront de continuer à vivre et à transmettre la Bonne Nouvelle de l’Evangile dans le monde d’aujourd’hui. Pour être significatives, celles-ci doivent valoriser ce qui a été développé jusqu’à présent, s’inspirer des acquis de ces 400 ans et ouvrir la voie à une plus grande efficacité et actualité.

En ce qui nous concerne, nous aimerions regrouper ces stratégies autour de cinq (5) grands axes : une pédagogie de la contemplation active, une attitude d’ouverture, le partage des ressources, une réforme de nos efforts de communication et une planification stratégique à long terme.

a) Une pédagogie de la contemplation active
Nous l’avons vu, la prière – la relation intime avec Dieu, l’écoute de sa Parole, la reconnaissance de Sa Volonté – doit se retrouver au cœur de la démarche vincentienne. Insister là-dessus ne revient pas à dire qu’elle en est absente, mais qu’elle doit véritablement constituer la démarche première et principale. Ainsi, la prière vincentienne – riche par sa méthodologie et ses formes, la méditation, la relecture de la journée et de la vie et l’interprétation des événements en particulier, doit retrouver son caractère unificateur et servir d’ancre à la formation et à l’action vincentiennes. C’est ainsi qu’elle pourra favoriser la cohérence de vie et disposer à la reconnaissance et au service du Christ dans la personne du pauvre. De plus, la formation doit être intégrale et tenir compte des différentes dimensions de la personne (savoir, savoir-faire, savoir-vivre et savoir-être).

b) Une attitude d’ouverture
Pour vivre son être de mouvement, la Famille Vincentienne est appelée à développer une culture d’accueil, à ouvrir ses portes et fenêtres, à se laisser questionner et interpeller par l’autre, par les autres. Dans cet échange qui renouvelle et qui enrichit, elle sera capable de découvrir des formes et des opportunités nouvelles de service. Deux éléments essentiels ici : le partage des expériences de collaboration pour en encourager une meilleure pratique et la recherche active de partenariats et d’opportunités de travailler ensemble au sein et au-delà de la Famille Vincentienne. La révolution vincentienne prendra un nouvel élan lorsque nous serons capables de cette ouverture qui transforme et engage, qui permet de faire porter la voix des plus défavorisés et d’avoir un impact réel sur les structures injustes qui créent et nourrissent la pauvreté.
c) Le partage de nos ressources
Qu’il s’agisse de formation ou de communication, les ressources ne manquent pas au sein de la Famille Vincentienne. Là encore, il faut que la mise en commun soit réelle, effective et centrée sur les atouts ou les problèmes communs. Quelques formes de ce partage pourraient être la mise en commun efficiente des ressources humaines, la création d’espaces digitaux bien structurés et communs qui permettent une dynamique du donner et du recevoir ou la collaboration entre les institutions éducatives vincentiennes à différents niveaux. Par exemple, l’une des difficultés actuelles de la Famille Vincentienne est le besoin continu de traducteurs ou d’interprètes pour les matériels et les rencontres. Ne serait-il pas remarquable de voir les différentes branches de la Famille Vincentienne s’unir de façon créative pour répondre à cette pauvreté commune dans le service du Royaume ? Ce partage des ressources contribuerait à consolider nos groupes de base et à les rendre plus capables d’agir.

d) Une réforme de nos efforts de communication
La présence digitale de la Famille Vincentienne ne fait aucun doute. Cependant, quelle en est l’efficacité ? Permet-elle de lancer et de nourrir une action concrète autour de problèmes précis ? Comment rendre notre communication crédible, profonde dans un monde qui de plus en plus vit dans du « low-cost médiatique », avec les chaines d’information continue ? Malgré notre importante présence digitale, nous avons beaucoup de mal à transmettre les informations aux différents niveaux de nos associations/groupes/congrégations, voire entre différentes institutions. L’absence d’un système d’information mieux structuré nous empêche d’encourager ou de coordonner la mobilisation et le lobbying autour de réalités que nous sommes appelés à transformer : la traite des êtres humains, la problématique écologique ou le drame de l’itinérance globale, par exemple. Présence digitale, oui, mais elle doit s’exprimer selon de nouvelles modalités et contribuer à la mise en place d’un réseau, bien plus d’une communauté productive, puissante et enrichissante.
e) Une planification stratégique à long terme
Dans un monde aussi globalisé, la Famille Vincentienne ne peut plus se permettre le luxe d’agir par à-coups, de lancer ou de modifier ses initiatives au gré des événements et des circonstances. Il lui faut une vision commune et un plan pour l’avenir, une planification stratégique basée sur la recherche et des prévisions, un choix commun de priorités qui permettront de concentrer le temps, les ressources et les efforts dans une même direction. C’est en partie ce que se propose le Comité Exécutif de la Famille Vincentienne avec l’Alliance Famvin avec les personnes sans-abri qui sera lancée dès demain : nous unir autour d’un problème grave et planifier des actions communes, pas nécessairement identiques, qui permettent de répondre à l’urgence immédiate de la situation mais aussi d’y mettre fin à partir ce que nous faisons déjà. Il serait tout aussi intéressant d’explorer la démarche de l’impact collectif qui permet à un groupe d’organisations de s’attaquer à un défi important en développant et en travaillant ensemble à la réalisation d’un plan de route commun visant à apporter des changements significatifs à l’échelle populationnelle au sein d’une collectivité. L’impact collectif requiert une compréhension partagée et multi sectorielle du problème à résoudre, une vision commune entre toutes les parties prenantes et un plan d’action qui repose sur des mesures partagées et des activités intégrées. Si la Famille Vincentienne était capable de définir deux ou trois priorités pour les 10-20-30 prochaines années, elle serait plus efficace dans ses efforts, encore mieux capable d’apporter une contribution définitive à certains défis du monde actuel. Tout cela n’exclut pas la docilité à l’Esprit Saint.

 

Conclusion

Les stratégies suggérées ici ne cherchent pas à épuiser la question. Etroitement liées à la tradition chrétienne et vincentienne d’éducation et de communication, elles veulent plutôt susciter votre réflexion en tant que vincentiens sur la question. Il est peut-être évident que le point de vue de l’auteure est celui d’une éducatrice. En réalité, éducation et communication sont deux dimensions étroitement liées et il est judicieux qu’elles aient été regroupées sous un même thème. Pour que la Famille Vincentienne continue de donner vie et forme au charisme dont nous avons hérité il y a de cela 400 ans, il est important que notre approche de la formation et de la communication tienne compte des enjeux actuels. Dans le contexte d’un monde globalisé, elle doit admettre des expressions spontanées du charisme sous la mouvance de l’Esprit, mais elle ne peut éviter la nécessité impérieuse d’être organisée autour d’axes programmatiques qui permettent un impact réel et efficace sur la vie des plus défavorisés, et en particulier de ceux qui semblent ne plus avoir de place. Ceci dit, place à votre réflexion personnelle et aux échanges qui nous aideront à avancer en eaux profondes.

 

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