28 juin 2017

 Sur les pas de Saint Vincent

Dans ce lieu prestigieux qui est L’Union Européenne, nous voulons aujourd’hui témoigner de la force spirituelle de St Vincent de Paul et de  son charisme si  particulier. Son engagement, ses idées, ses gestes  d’amour  au  service des plus pauvres, ont dépassé les frontières de la France pour se répandre partout dans le monde, dans plus de 100 pays. Saint Vincent, c’est une idée qui s’est  transformée en action  au service de l’humanité. Aussi a-t-elle le  droit  d’avoir sa place  dans ce lieu d’échange multiculturel  des Nations.

Nous fêtons avec une grande joie les 400 ans du début du choix  de St Vincent de Paul en faveur de la charité envers le prochain. A Châtillon-sur-Chalaronne, en 1617,  Vincent  a été confronté au moment de célébrer l’Eucharistie  au  cas dramatique d’une famille dont tous les membres étaient malades. Il comprend alors  qu’il ne peut  dire la messe sans aller d’abord  vers ces pauvres qui attendent un secours immédiat.

Que fait-il ?  Il demande à des dames qui se trouvent autour de lui  d’aller porter secours à cette famille pendant qu’il officiait.

Ainsi nait  sa première œuvre de charité, on pourrait dire son œuvre sociale. Cela s’est fait grâce à l’acceptation de ces   femmes de bonne volonté prêtes à assumer leurs responsabilités d’être humain et de chrétien.

St Vincent de Paul,  comme tous les grands Saints, est un homme comme les autres. Il   a dû à un moment de sa vie faire un choix, un choix catégorique pour  être  en accord avec la foi qu’il prêchait aux autres.

Ce charisme commence donc  à Chatillon. Le grain était semé. Il continuera  de germer de la plus belle des manières  tout au long de sa riche  vie.

Nous connaissons la suite :  Monsieur Vincent comme on le surnomme suscitera par ce charisme inouï la vocation  de nombreux laïcs, hommes et femmes,  prêts à aller secourir les pauvres. Tous les pauvres sans distinction : Ceux qui se trouvent sur sa route et ceux qu’on lui envoie.

Après cette mission  en compagnie des laïcs, la tâche n’est pas achevée (elle ne le sera jamais !)il se met à réunir des prêtres, ceux  qui veulent  le suivre dans cette aventure la plus belle et noble qui soit :  Approcher le pauvre, lui tendre la main, le  relever , l’aimer.

Je ne m’étendrai pas sur la galerie merveilleuse des actes de vie de Saint Vincent . Ces fioretti , nous les connaissons , sa vie est si bien connue désormais, les biographes et les savants ont levé tellement de voiles sur cette vie .  Je voudrais seulement, quant à moi, comme  missionnaire lazariste  à Madagascar depuis 1970, évoquer ce  charisme de St Vincent de Paul que nous avons, lazaristes ou d’autres congrégations,  voulu vivre avec les plus pauvres de nos frères et sœurs à Madagascar. Tant d’autres frères missionnaires de par le monde pourraient aussi raconter leur histoire, riche d’enseignement pour nous tous. Je ne porte pour ma part témoignage que de  l’engagement des prêtres et filles de la Charité , de tous ceux de la famille Vincentienne à Madagascar.

St Vincent de Paul, de son vivant, avait  rêvé d’envoyer ses premiers  missionnaires à  Madagascar. Au-delà de l’avoir rêvé, il l’a fait et ses premiers missionnaires héroïques  P.  Nacquart  et P.  Gondrée arriveront  en 1648 à Fort Dauphin dans le sud de la grande île..

Cette mission que St Vincent portait dans son cœur, nous savons combien elle fut difficile à cause du  climat et  du  paludisme qui décimait tous les  missionnaires  durant les quelques  25 ans que dura la Mission  au 17ème siècle. Il faut  vraiment rendre hommage  à ces premiers missionnaires lazaristes qui partaient en sachant  qu’ils faisaient  là un voyage sans retour mais qui partaient tout de même  parce qu’ils portaient dans leur cœur  l’Evangile de Jésus. Ils voulaient  partager cet Evangile  avec les plus pauvres de Madagascar et  voulaient vivre le charisme de St Vincent de Paul avec un amour sans limites pour les plus pauvres, dans le plus grand respect, habités par  une approche humble et simple afin que ce soit l’amour et la grâce de Dieu qui se manifestent en tout premiers.

Nous sommes aujourd’hui les héritiers de cette mission commencée en 1648.  Ensuite la présence de missionnaires de St Vincent de Paul  fût  stoppée pendant un peu plus de deux siècles (1675-1895).

Le retour des enfants de  St Vincent de Paul en 1896 fût  un nouveau défi  relevé avec beaucoup de courage et de foi. La partie sud de Madagascar a été ainsi confiée  à la congrégation de St Vincent de Paul pour l’animation spirituelle et la création de plusieurs diocèses : Fort Dauphin, Farafangana, Ihosy, Tulear et Morobe.

Les prêtres missionnaires et les Filles de le Charité ont travaillé là avec amour , d’ abnégation et de foi. Ils vivaient  tout près de la population et  rencontraient  tous les maux que subissait le peuple malagasy, c’est-à-dire le paludisme, la bilharziose, les parasitoses, la tuberculose. Ils vivaient  aussi  avec un régime alimentaire modeste et  très pauvre, tout comme les gens à qui ils vouaient leur vie.

Cette présence de missionnaires de St Vincent de Paul fut d’une importance décisive pour le développement du sud de Madagascar, alors que  cette région restait la plus sous développée, avec des famines régulières dues à l’hostilité de son climat, au manque de pluie, d’eau potable, d’infrastructures lesplus élémentaires : aucune route goudronnée  ne créait  par exemple  un accès vers le sud, et c’est ainsi que  le sud a toujours vécu en autarcie,  coupé du  centre de l’île qui a toujours été plus chanceux jusqu’à aujourd’hui.

Avec toute leur bonne volonté, les missionnaires, prêtres et filles de la Charité ont fait tout ce qu’ils ont pu dans cette région hostile à tous points de vue.

Une de leurs  grandes difficultés consistait dans le travail d’approche  des tribus de cette région.   Il fallait les  aider à comprendre qu’une nouvelle ère commençait, qu’il s’agissait  de répondre aux besoins  de leurs enfants , de toute  leur jeunesse, de leur faire prendre conscience que certaines de leurs  superstitions, de leurs coutumes ancestrales paralysaient   leur propre épanouissement.

Bien sûr, les anciens  missionnaires n’ont pas hésité à s’immerger corps et  âme   dans cette riche culture malgache de  solidarité et d’entraide mais ils osaient aussi dire à leurs frères malgaches  qu’ aucune tribu, aucun peuple, ne doit  s’ouvrir à un avenir meilleur.  Une  preuve parmi tant d’autres de la souffrance de ce peuple du sud de Madagascar, c’était  la mort précoce . Celle des enfants, des  mères et des pères.

En 1970, quand je suis arrivé à Madagascar, la moyenne d’âge était de 42 ans. Cela était  la conséquence  d’une mauvaise réponse aux problèmes de la santé primaire , au fait que   beaucoup de ces enfants n’étaient  jamais  vaccinés ; En conséquence de quoi, ils étaient décimés par les maladies.  A quoi il fallait ajouter les épidémies engendrée par la consommation de l’eau polluée .

Aujourd’hui, je voudrai rendre hommage à tous ces missionnaires qui, avec les faibles moyens de leur époque,  sont allés aider mus par la foi et l’amour leurs  frères malgaches et  chanter ensemble avec eux la louange du Dieu-Amour. Mais, hélas,  ils étaient  moins « armés » quand il s’agissait pour eux de s’attaquer aux  problèmes de la sous-alimentation, aux maladies chroniques  comme les  diarrhées chroniques, la tuberculose ou le paludisme.

Nos missionnaires anciens , nos précurseurs sont allés visiter les villages dans la brousse, à pied, la plupart du temps  comme tout le monde, ou bien en pirogue. Cela les a beaucoup rapprochés des gens , les a aidés à se faire entendre, comprendre , puis aimer.  Ces gens-là, nos frères et sœurs , ont alors fini par voir dans le prêtre, dans la religieuse, même s’ils étaient d’origine étrangère, l’annonce  d’un progrès, d’une évolution, d’une forme de fraternité qu’ils n’avaient pas connu jusqu’alors.

Les missionnaires à peine arrivés  dans leur hameau, on leur  demandait de leur  apprendre à prier, à se soigner , à donner des leçons à leurs enfants , car  ces frères malgaches  nourrissait le  désir, à la fois profond et  parfois secret, d’avoir un de ces  dispensaires tenus  par des religieuses et une école pour apprendre à lire et à écrire à leurs enfants.

Expérience d’Akamasoa


Après avoir rendu hommage à tous ces missionnaires courageux, je voudrais  évoquer l’expérience que nous avons commencée il ya 27 ans à Tananarive. Lorsque j’ai été nommé par ma congrégation comme directeur du scolasticat de St Vincent de Paul à Soavimbahoka, il m’est échu  la responsabilité d’accompagner et de former une quinzaine de jeunes postulants prêtres malgaches pour  notre congrégation. La pauvreté que j’ai vue d’emblée  à Tana m’a bouleversé. Je ne pouvais pas croire ce que mes yeux voyaient.

Et c’est alors que  j’ai proposé  en toute sincérité à nos futurs prêtres de St Vincent de Paul, de commencer de  vivre  sans plus attendre, au cours de ces 10 prochaines années de formation, le charisme de St Vincent de Paul, de voir dans chaque pauvre le visage du Christ. Cela ne pourrait pas s’apprendre dans les livres, ni dans des cours de philosophie de la faculté, mais au contact réel et concret des pauvres qui nous entouraient.

Un jour j’ai découvert l’horreur en voyant la décharge où tant  d’enfants et de familles pauvres essayaient  de survivre  en triant  les déchets et les ordures de la ville. De même, il était insupportable de les voir survivre dans  ces abris de fortune dans lesquels ils s’entassaient  avec leurs enfants. Cela m’a été insupportable d’accepter la tragédie de toutes ces familles oubliées et exclues. C’est à partir de cet électrochoc  que j’ai voulu répondre par une action concrète afin d’aider ces familles à sortir de cette misère.

J’en ai parlé aux jeunes laïcs que je connaissais à Madagascar, que je réunissais régulièrement et qui étudiaient à l’université. J’ai aussi demandé à nos séminaristes de participer à leurs réunions  les samedis et les dimanches, et d’aller visiter, avec nous , ces personnes qui souffraient sous nos yeux : ces plus pauvres des pauvres, ces personnes oubliées, exclues de toute société, ces   chiffonniers qui vivaient le long des voies ferrées en centre ville ,  ces familles qui survivaient  autour de la décharge à Andralanitra.

Sans argent, sans aucun appui logistique d’aucune sorte, d’aucune aide internationale, mais avec la passion et la conviction que la pauvreté n’est pas une fatalité, nous avons commencé pas à pas à construire notre plan et notre façon de nous battre contre cette extrême pauvreté avec  une extrême simplicité, ce qui évidemment surprenait  plus d’un des fameux  experts du développement intégral.

Cette expérience, nous l’avons commencée sans argent, sans aucun moyen, mais avec la foi et la conviction que Dieu  n’oublie pas ses enfants et les familles les plus pauvres.

En tant que prêtre de la congrégation de St Vincent de Paul, c’était mon simple  devoir humain et spirituel, l’appel de ma foi  pour tendre la main à  ce peuple des exclus de la rue et de la décharge,  pour essayer d’améliorer  leur vie et leur offrir un peu d’espoir et de fraternité. C’est là que nous avons commencé ce service, qui est finalement devenu un développement intégral, puisqu’il fallait répondre aux différents besoins de leur vie.

Nous avons commencé par un accueil dédié aux sans-abris. Ensuite, ce fût  la construction de logements un peu plus dignes que  les masures fragiles  où ils habitaient auparavant dans la rue, les premiers soins pour une population déjà très fragilisée et la garantie  l’octroi minimum  d’un repas par jour aux enfants. De même, nous avons commencé à créer des emplois pour les parents puisque nous avons, dès le début, été clairs dans cette aventure communautaire en précisant que nous ne tomberions jamais dans l’assistanat, mais qu’on se relèverait et  qu’on commencerait une vie plus digne grâce au travail, à l’école et à un règlement intérieur, une sorte discipline communautaire pour apprendre à  vivre ensemble sans violence.

Nous avons ainsi ouvert une carrière de granit où des centaines d’ouvriers ont commencé à s’attaquer à la montagne. Pour les enfants, nous avons construit des salles de classe afin qu’on puisse commencer de les éduquer .

Nous nous sommes parallèlement attaqués à l’aménagement de notre terre en construisant de nouveaux logements car il s’agissait des besoins les plus criants, avec un centre de santé et un dispensaire. Nous avons également commencé à créer des puits et un réseau de distribution d’eau potable en bâtissant  des bornes fontaine,  qui sont de précieuses garanties pour une bonne  santé. Nous avons aussi entamé des travaux d’assainissement  grâce à la création de routes d’accès, de caniveaux pour les eaux usées et les eaux  de pluie,  sans oublier  la construction de centaines de latrines pour améliorer l’hygiène et la salubrité.

Nous avons en même temps initié, avec nos enfants de l’école, la plantation d’arbres sur une colline qui était déserte.

Nous avons tout de suite fortement sensibilisé les enfants au respect de l’environnement, à l’amour des arbres et des fleurs.

Nous étions aussi obligés, dans une ville où l’insécurité grandit d’année en année, de former nos propres groupes de sécurité pour veiller sur l’étendue de tous nos villages.

Nous avons été attaqués  trois fois avec des armes de guerre…. Aujourd’hui,  pour nos   13.500 enfants scolarisés et arraché  à la rue et  à une décharge  , nous avons été amenés à construire des infrastructures sportives qui par ailleurs  bénéficient aussi  à  de nombreux  enfants  dans les  écoles d’Etat  ou  privées d’alentour.

Nous avons aussi créé des lieux de prière, de recueillement, de recollection pour les groupes de jeunes ou  pour des paroisses entières qui nous demandent, notamment pour les périodes précédant Noël et Pâques,  l’usage de ces  beaux lieux  qui se trouvent dans les hauteurs d’Akamasoa.

Ce n’est pas tout. Nos morts n’ont pas été oubliés. Nous avons  construits  4 cimetières puisque la mort est très présente parmi   cette population pauvre et fragile  mais le fait d’avoir enterré les pauvres avec amour, dans le respect et la culture de leurs ancêtres,  nourrit cette confiance dans cette aventure pour sortir de la misère.

Tous ces projets s’accomplissaient  en même temps. Est-ce qu’on  peut séparer la vie d’une personne en petits  morceaux : le corps humain et l’esprit qu’il l’habite ne font qu’un. C’est ainsi qu’en nous occupant de leur corps, ils étaient plus réceptifs pour les conseils humains, spirituels et de sagesse ancestrale que nous partagions avec eux.

A Madagascar existe ce proverbe si fort et si profond : « C’est l’esprit qui fait la personne ». Ce proverbe est écrit en pierre de granit dans la cour où je réside, tout près de la chapelle où une prière a lieu tous les soirs en compagnie de nombreux enfants.

Nous n’avons à aucun moment oublié ni le corps ni l’esprit. De tous ces travaux, de tous ces efforts, de nombreux livres  parlent plus précisément mais je voudrais aujourd’hui me demander avec vous ici présents, et avec toute notre famille Vincentienne à travers le monde, quels sont les défis que nous avons encore à affronter aujourd’hui pour être à l’écoute des plus pauvres, découvrir les nouveaux visages, identifier  les nouveaux pauvres dans chacun des pays où nous vivons ?

Nous devrions peut-être, nous tous, commencer par  faire un état des lieux des injustices qui jettent des millions de gens dans la pauvreté.

Ensuite, comprendre les causes de ces injustices afin de bien identifier les solutions à mettre en œuvre. Et enfin, décider d’agir pour changer les structures et les systèmes qui ont produit cette misère. C’est là où précisément notre communauté a  apporté son concours capital  à la commission du changement systémique.

Nous devons aussi penser au défi que nous posent les millions d’enfants oubliés dans les rues des grandes villes dans le monde entier.

Nous devons aussi accepter de réfléchir sur le manque de respect, de dignité à l’égard des femmes dans de nombreux pays dans notre monde. La femme est toujours exploitée et opprimée, et pourtant c’est souvent elle,  la première force dans la  famille pour éduquer, changer la mentalité et sortir de la pauvreté.

Nous devons aussi humaniser ces lieux de souffrance où les gens laissent aller en déchéance leur  esprit puisque la drogue, la prostitution, l’alcool,  sont des prisons impitoyables  qui assassinent  l’âme. Humaniser ces lieux de désespoir s’avère si  difficile et on se sent si  souvent désarmé,  et impuissant. Mais, comme  chrétien, comme  membre de la famille de St Vincent de Paul, avec l’Evangile dans notre main, nous ne devrions jamais céder à la panique, au désespoir ou à l’impuissance. L’esprit du Christ qui a habité St Vincent de Paul nous parlera et nous réveillera toujours à nos responsabilités.

Ce sont bien  les nouvelles orientations et suggestions données par la dernière assemblée générale en juillet 2016 à Chicago avec l’élection de notre nouveau supérieur général, qui d’emblée nous a invité à  suivre le charisme de St Vincent de Paul et de Louise de Marillac.

Créer des oasis d’espérance, c’est peut-être une première approche à une solution globale à la misère et au désespoir, car on ne pourra jamais changer tout  et tout de suite à l’échelle d’ une grande ville ou pour  toute une société, mais nous pouvons créer un peu partout ces petites oasis où les gens pourront retrouver la dignité, la joie de vivre dans la vérité, la justice et la fraternité.

A cause de ce bouleversement culturel et de cette vitesse inouïe du progrès scientifique et technologique qui nous bousculent et parfois nous désorientent, nous devons nous unir,  réagir ensemble comme une famille, la famille Vincentienne, chercher d’abord le  sens dans nos vies, identifier  des objectifs concrets , puis accomplir  les gestes et les actions qui puissent servir  tout de suite aux pauvres et aussi à la jeunesse de notre temps. Pour cela, nous devons puiser dans l’Evangile et dans la spiritualité ainsi que dans les actions concrètes réalisées par St Vincent de Paul. Nous disposons  aujourd’hui d’une connaissance beaucoup plus grande que nos prédécesseurs dans tous les domaines. Nous avons aussi plus de liberté d’action qu’autrefois et beaucoup plus de moyens pour approcher, écouter et aider tous ceux qui se trouvent  hors de la communauté humaine au sens large (par exemple les drogués, les prostituées, terroristes, les fanatiques de tous bords, tous les blessés de la vie qui ont tout perdu).

Face à cet énorme défi qui nous tombe dessus, nous devons certainement réfléchir ensemble, c’est-à-dire nous réunir, en  évitant cependant  de tomber dans l’impasse de la « réunionite » qui entrave l’engagement et les décisions concrètes  et efficaces pour  ceux qui ont besoin de nous, pour les aider à sortir de leur extrême pauvreté. En ce qui me concerne , je peux le dire sans erreur :  mon bureau c’est la rue !  Là où je rencontre un pauvre, je peux et je dois trouver sur le champ  la solution  qui convient .

Chaque action décidée en commun doit aussitôt  être suivie d’effet qui se traduise  dans la vie réelle. Comment est-ce possible que tant de rapports bien ficelés,  présentés dans un vocabulaire parfait   acceptés d’un commun accord , finissent dans un tiroir ? La vérité est que , en dépit de  ce que certains osent affirmer, la pauvreté ne recule pas ; bien au contraire elle progresse aussi bien dans les villes que les campagnes. Nous connaissons les énormes vagues déferlantes de pauvreté qui ravagent la planète entière, les enfants malades, affamés et sans instruction, les parents complètement désorientés et sans emploi, sans la moindre sécurité pour assurer la vie de leurs enfants, les vieillards si abandonnés qu’ils n’ attendent qu’une chose : une  mort qui les délivre.

Faisons le point et regardons en face   la réalité. Il y a un gouffre  énorme entre les personnes qui luttent sur le terrain contre la pauvreté et celles qui sont dans les bureaux à l’observer …de si loin. Ce gouffre, c’est l’écart qui sépare ceux qui au jour le jour travaillent sur le terrain avec les pauvres et ceux qui devant leur bureau compilent des chiffres et donnent des orientations et des directives. Ce gouffre pourra-t-il un jour être comblé? De toutes mes forces et de toute mon âme, je veux le croire et je sais aussi que ce sera très difficile. Mais, j’ai une certitude : ce gouffre ne pourra jamais être comblé si nous, lazaristes, Filles de la Charité et Famille Vincentienne, ne prenons pas l’initiative de bousculer les idées, les lignes et les concepts des bureaucrates et technocrates.

Oui, je dis bien, qu’il nous faut, maintenant, avec la plus grande force d’âme, d’esprit et de cœur, bousculer les belles idées toutes faites concernant la pauvreté et le développement.

Nous n’avons pas la prétention de bousculer tout seuls cette inertie maladive. Pourtant, nous, famille Vincentienne, issue du message et des actes d’ un Saint si pragmatique, réaliste et efficace, nous sommes les premiers à pouvoir faire davantage, tout comme le disait St Vincent de Paul. Nous sommes conduit à annoncer l’Evangile aux plus pauvres et d’une façon effective. C’est peut-être cela la nouvelle évangélisation dont on parle tellement.

L’Evangile n’est pas la propriété des baptisés. Il y a partout dans le monde des gens de bonne volonté, croyants et incroyants et il ya aussi tant d’éminentes personnalités d’autres religions dans le monde qui luttent et partagent ces mêmes valeurs  pour la défense de  la dignité humaine. Nous devons tous travailler ensemble.

En tant que famille Vincentienne, au nom du Christ et de notre charisme particulier, selon les talents de chacune de nos branches et de chacun d’entre nous, nous avons un devoir d’ingérence dans les sphères qui touchent la vie des pauvres, que ce soit dans la politique économique ou au niveau des problèmes sociaux les plus élémentaires. Nous n’avons pas le droit de rester silencieux. Nous serions complices. Nous devons également nous questionner sur les raisons de la persistance et de l’aggravation de la pauvreté dans la plupart  de nos continents. Nous devrions de  toutes nos forces nous opposer à la  résignation de tout pauvre quel qu’il  soit parce que cette résignation  est la tentation la plus sournoise à laquelle il succombe, par manque de contact humain, amical et fraternel. C’est ainsi qu’ il s’enfonce encore davantage dans la misère. Nous avons tous dans nos mémoires  les recommandations du Pape François  qui nous invitent à  nous investir dans les périphéries.

Chers frères et sœurs, je crois en effet qu’il est urgent que nous ayons des paroles et des actions constructives, qui dépassent nos missions respectives sur le terrain pour porter haut et fort la bonne nouvelle auprès des  consciences des responsables économiques, sociaux et politiques qui menacent, par leur indifférence, inactions et lenteurs, d’énormes catastrophes humaines.

En conclusion, pour travailler ensemble nous devrions nous imprégner de l’amour fraternel du Christ qui a désiré que nous soyons tous des frères et sœurs et que notre amour, notre humilité, notre amitié fraternelle, parlent au monde, et soient  le signe d’appartenance  à la même famille humaine et spirituelle : celle de St Vincent de Paul.

Ce Saint, qui a déjà 400 ans, était déjà un pionnier révolutionnaire au nom  de la justice  par le travail et la prière.


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