À la veille de la fête de saint François d’Assise, le 4 octobre 2020, le Pape François a publié sa troisième encyclique : ‘Fratelli tutti‘.
En tant que responsable au sein d’une congrégation internationale qui remplit une mission claire dans le monde, plus particulièrement dans le monde de l’éducation et de la santé, sur la base de son propre charisme, le Fr. René Stockman propose ici un bref résumé de chaque chapitre, suivi d’une réflexion plus personnelle.
Chapitre 3 : Penser et gérer un monde ouvert
Après l’esquisse de la situation et la parabole comme source d’inspiration de ce qui peut se faire, les cinq chapitres suivants sont consacrés à des chemins concrets vers un monde où règne plus d’amour social et des domaines où cela doit être pratiqué d’une manière très spéciale. Au passage, un certain nombre de positions claires sont également formulées.
Dans ce troisième chapitre, un appel est lancé pour grandir vers un monde ouvert, où il y a de la place pour tous. L’homme a été créé pour vivre avec les autres, plus encore, pour entrer dans une relation avec chaque être humain, marquée par l’amour. Chacun est donc appelé à sortir de lui-même, à percer le cocon de sa propre existence et à donner de l’espace dans sa vie pour être ensemble avec les autres. Cette relation avec les autres nous fait grandir en tant qu’êtres humains et nous permet d’élargir notre cercle de relations et de développer en nous un esprit d’hospitalité. Comment cela était déjà vécu typiquement au début du Moyen Âge dans les communautés monastiques, où l’accueil de l’hôte était une tâche majeure et était vécu comme un accomplissement concret du commandement de la charité.
L’amour est au cœur de notre existence et doit aussi être le cœur de chaque croyant. L’amour ne peut jamais prendre la deuxième place et ne peut être remplacé par une lutte acharnée pour défendre certaines interprétations idéologiques de la foi. Et s’il faut défendre, il faut le faire avec amour. Le plus grand danger dans notre vie est de ne pas aimer! C’est pourquoi toute forme d’hospitalité et d’amitié sera profondément marquée par cet amour. C’est l’amour qui nous motive à rechercher, trouver et promouvoir le meilleur de la vie de chaque être humain.
L’amour brise toutes les frontières, tant géographiques qu’existentielles. Ce devrait être notre capacité à élargir constamment nos horizons et à créer de plus en plus de place dans nos vies pour la présence de l’autre. Toute forme d’exclusion d’autrui en raison de race, de couleur ou de religion doit nous être étrangère. Dans cette inclusion que nous développons, nous voulons accorder une attention particulière aux personnes handicapées et aux personnes âgées qui mènent aujourd’hui souvent une existence marginale dans la société et sont plutôt perçues comme un fardeau.
Aujourd’hui, notre attention est particulièrement attirée par la manière dont nous ouvrons ou fermons nos frontières aux réfugiés. En se référant à la parabole, les réfugiés sont considérés par certains comme l’homme allongé dans la rue qui perturbe notre route. On ne veut pas être dérangé et on cherche donc des moyens de se protéger et de protéger sa propre communauté. Cela érode complètement le terme « prochain » et on souhaite continuer sa route seulement avec ceux qui peuvent facilement être acceptés comme partenaires. C’est pourquoi la liberté, l’égalité doivent toujours aller de pair avec la fraternité. La fraternité est le véritable humus de la liberté et de l’égalité désirées. Sans fraternité, nous sommes poussés vers un individualisme toujours plus grand, qui est une véritable contamination virale pour le développement futur de notre communauté et doit donc être radicalement combattu.
Notre point de départ doit être que chaque être humain a le droit de mener une vie digne et de se développer pleinement, et ce droit ne doit ou ne peut être ignoré par aucun pays. Si cela n’est pas respecté, on évolue vers une société avec des groupes diversifiés: ceux qui ont l’opportunité de se réaliser pleinement dans la vie et ceux qui ne l’ont pas et sombrent donc dans une marginalité toujours croissante, ce qui, comme on le voit dans certaines grandes villes, devient une source d’agression croissante. Lorsque seuls les rendements économiques comptent, beaucoup sont laissés de côté, ce que nous devons malheureusement remarquer de plus en plus aujourd’hui, ne laissant la fraternité que comme un vague slogan romantique. La seule orientation de nos actions les uns vers les autres et aussi le développement harmonieux d’une société, est le bien commun que l’on veut promouvoir. Le bien commun signifie « bene- volentia », vouloir le bien pour l’autre. Pour y parvenir, nous devons emprunter la voie de la solidarité, en considérant la solidarité comme une vertu morale et une attitude sociale. Celle-ci doit être basée sur l’éducation au sein de la famille et aussi à l’école. Les jeunes doivent être accompagnés dans le développement d’une action consciencieuse dans les sphères morale, spirituelle et sociale, ce qui doit être testé dans la pratique et développé plus avant par des formes concrètes de service, en particulier envers les prochains fragiles. La solidarité se développe lorsque on pense de plus en plus en termes de bien-être de la communauté et qu’on ne voit plus sa propre prospérité, prêchée par le royaume de l’argent, comme le seul moyen de parvenir à un bien-être complet. Ici s’applique le principe que la propriété privée ne peut jamais être absolue aux dépens de la destination universelle des biens. Ce principe ne peut jamais rester une théorie, mais doit devenir visible et tangible dans notre attitude et notre engagement envers les pauvres. C’est le seul moyen d’arriver à une répartition plus équitable des ressources dont nous disposons et sur lesquelles nous ne pouvons jamais revendiquer des droits exclusifs absolus.
Ici résonne également l’appel à l’entrepreneuriat qui ne doit jamais viser à accumuler des biens sans prendre en compte les droits de l’homme et le bien commun. On peut s’attendre à ce qu’ils prêtent attention à un emploi décent. Chaque gouvernement devrait se donner pour objectif de procurer à chaque citoyen suffisamment de terre, un toit et du travail. Sur le plan international, on ne peut rester insensible au développement des pays qui connaissent des difficultés supplémentaires, et il faut chercher à réduire le fardeau de la dette qui pèse sur certains pays, qui étouffe dans l’œuf toute forme de développement futur, et mettre fin à ces difficultés de manière réalisable.
Une fois de plus, nous devons nous demander comment nous pouvons développer et façonner ces principes de base pour le développement d’un monde ouvert dans notre propre entourage. Il serait erroné de se cacher derrière des décisions politiques et d’éviter ainsi notre responsabilité de promouvoir ce monde ouvert. Les mots fraternité et solidarité nécessitent une interprétation concrète. Le fait que nous nous appelions « frère » peut être un signal puissant pour promouvoir la fraternité dans notre entourage et le réaliser en actes, en particulier pour ceux qui manquent toute expérience de fraternité dans leur vie. Dans de nombreuses régions, nous sommes confrontés au problème des réfugiés. En tant que congrégation, nous ne pouvons pas fermer les yeux sur cela et encore une fois, cela revient à développer de petits actes d’amour par des actions concrètes. La manière dont nous gérons nos propres ressources, les ressources de la communauté, de la région et de toute la congrégation doit être inspirée par une solidarité bien réfléchie avec laquelle nous apportons aussi une contribution concrète dans notre propre congrégation à un développement plus égal dans les différents parties de la congrégation. Ne tombons pas dans le piège de considérer les ressources de la Congrégation comme des « ressources privées », soucieux uniquement de notre propre bien-être et nous laissant ainsi saisir dans des statistiques avec lesquelles les banques se font un plaisir de nous exiger et de nous conseiller de faire des réserves suffisantes pour notre propre avenir. Sans exclure un juste souci de notre propre survie, la solidarité nous demande explicitement de partager avec les autres, et cela depuis notre responsabilité commune pour la croissance du bien commun de toute la congrégation.
Fr. René Stockman,
Supérieur général des Frères de la Charité.
Source: Site des Frères de la Charité.
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