À la veille de la fête de saint François d’Assise, le 4 octobre 2020, le Pape François a publié sa troisième encyclique : ‘Fratelli tutti‘.
En tant que responsable au sein d’une congrégation internationale qui remplit une mission claire dans le monde, plus particulièrement dans le monde de l’éducation et de la santé, sur la base de son propre charisme, le Fr. René Stockman propose ici un bref résumé de chaque chapitre, suivi d’une réflexion plus personnelle.
À la veille de la fête de saint François d’Assise, le 4 octobre 2020, le Pape François a publié sa troisième encyclique. Elle semble être le résumé de la dimension sociale de son pontificat et illustrative du fait qu’il utilise à nouveau une parole de son saint patron en tant que pape pour expliquer l’encyclique. Tout comme saint François invitait explicitement ses confrères et sœurs à vivre et promouvoir l’amour mutuel et à aimer tout le monde sans distinction ni préférence, le Pape François nous invite à développer et promouvoir la fraternité et l’amitié sociale dans notre monde concret d’aujourd’hui.
L’encyclique est en grande partie composée de citations des discours qu’il a prononcés dans de nombreux endroits au cours des sept années passées de son pontificat, affirmant maintenant formellement les lignes de force qu’il voulait transmettre au monde en tant que dirigeant de l’Église et les mettant dans un cadre clair. Il utilise également des textes qui lui ont été envoyés par des conférences épiscopales. Cela résonne comme son testament dans lequel il dresse le bilan de son pontificat. Il se réfère également régulièrement à sa précédente encyclique « Laudato Si’ » et aux encycliques sociales de ses illustres prédécesseurs.
Immédiatement de nombreux commentaires sont venus du côté catholique, pour la plupart positifs, mais aussi d’un point de vue global la publication de l’encyclique n’est pas passée inaperçue. Parce que les thèmes abordés par le Pape concernent tout le monde et l’ordre mondial tout entier. Elle ne peut donc certainement pas rester un document intra-ecclésial mais plutôt inviter les communautés locales, nationales et internationales, à réfléchir et, espérons-le, à encourager l’action. Une lecture approfondie de ce texte ne peut et ne laissera personne indifférent. C’est comme un vaste examen de conscience que nous développons notre vie en communauté: le faisons-nous en tant qu’individus, nous enveloppant d’une indifférence mortelle ou d’une compétition paralysante les uns avec les autres, ou le faisons-nous en tant que frères et sœurs par amour mutuel.
Chacun lira cette encyclique depuis son parcours spécifique, de sa propre histoire et de la position qu’il occupe dans la société. Je veux le faire en tant que personne responsable au sein d’une congrégation internationale qui, basée sur son propre charisme, remplit une tâche explicite dans le monde, plus spécifiquement dans le monde de l’éducation et de la santé. Comme méthode, je choisis un bref résumé de chaque chapitre avec une réflexion plus personnelle. Que cela puisse être l’espace et l’invitation où chacun peut aussi faire sa propre réflexion pour lui- même et pour le groupe auquel il appartient.
Chapitre 1 : Les ombres d’un monde fermé
Le premier chapitre sera ressenti par beaucoup comme plutôt sombre et pessimiste. Il fournit aussi une analyse extrêmement précise de l’image actuelle du monde et de la destruction partielle du rêve de pouvoir évoluer vers une plus grande unification au niveau mondial. Tout d’abord il indique une tendance croissante vers un certain nationalisme, dans lequel les pays et les peuples se montrent supérieurs aux autres. Ce que l’économie mondiale veut nous imposer afin d’arriver à un modèle culturel unique, semble être une illusion. C’est un modèle qui amène le monde dans une unité virtuelle plus grande, mais qui en même temps sépare davantage les peuples et les nations les uns des autres. Au lieu d’une plus grande proximité qui devrait en résulter, les distances entre elles augmentent. C’est une mondialisation croissante qui ne nous encourage cependant pas à grandir en fraternité mutuelle. Certains semblent oublier leur histoire et d’autres nient leur tradition conduisant à de nouvelles formes de colonialisme culturel. Les peuples qui nient leur histoire et leurs traditions perdent leur âme, leur identité spirituelle, leur moralité acquise et enfin leur indépendance idéologique, économique et politique. Que signifient finalement des termes tels que démocratie, liberté, justice et unité? Ils sont devenus des termes creux qui sont maintenant utilisés pour dominer les autres. La préoccupation pour notre maison commune, qu’après tout est le monde, n’est certainement pas une préoccupation pour les forces économiques qui ne veulent que faire des profits rapides.
Quelles sont ici les premières victimes? Les pauvres, les personnes handicapées qui ne sont pas considérées comme utiles pour cette économie mondiale, les enfants à naître qui ne comptent pas encore et les personnes âgées qui sont devenues un fardeau. Avec la baisse du taux de natalité, il y a une forte croissance de la population âgée qui souffre d’isolement et de négligence croissants, qui ont émergé de manière si poignante pendant la pandémie récente et actuelle.
Une plus grande inégalité apparaît entre les groupes sociaux avec le développement de nouvelles formes de pauvreté.
Il semble que les droits de l’homme ne soient pas les mêmes pour tous dans le monde. On ne peut pas fermer les yeux sur une discrimination grave qui ne cesse d’apparaître. Si la dignité des êtres humains était respectée et les droits de chacun reconnus, des initiatives nouvelles et créatives émergeraient pour promouvoir le bien commun. Aujourd’hui, nous voyons souvent le contraire se produire et c’est avec peine que l’on doit conclure que ce qui a été solennellement proclamé il y a soixante-dix ans est loin d’être réalisé et n’est certainement pas universellement respecté. De graves injustices dominent l’image du monde, alimentée par des visions anthropologiques aberrantes visant le soi-disant contrôle de la population mondiale, et un modèle économique uniquement axé sur le profit, sans renoncer à exploiter, exclure et même à tuer des personnes.
Les droits des femmes sont-ils garantis partout? Les nouvelles formes d’esclavage, perpétuées par des réseaux criminels sont de véritables taches sur notre civilisation.
Combien de guerres ne sont pas menées et combien de persécutions ne sont pas fondées sur des raisons raciales ou religieuses? Cela ressemble à une troisième guerre mondiale qui se déroule en par morceaux. Ce qui disparait toujours en premier, c’est l’esprit de fraternité qui doit être le ciment et la vocation de notre famille humaine. De nos jours, une soi-disant stabilité et paix est souvent représentée sur la base d’une mentalité de peur et de méfiance mutuelle. Cela ne peut jamais apporter la vraie paix. Dans un monde où des murs sont érigés pour se protéger des autres parce que l’on craint soi-disant l’autre, il n’est pas question de paix. Par contre cela favorise une mentalité de peur, d’insécurité, d’isolement et crée le terrain pour des groupes mafieux.
En regardant le monde, nous ne pouvons nier les grandes avancées de la science, de la technologie, de la médecine, de l’industrie et du niveau de vie des habitants des pays développés. Mais est-il en équilibre avec le même progrès au niveau moral et spirituel? Ici, quelque chose ne va pas du tout. Comment se fait-il que là où il y a de tels progrès, il y ait en même temps un silence glacial, une indifférence totale à une réalité complètement différente dans le monde où des millions d’enfants meurent de faim à cause de graves injustices et de crises politiques? Est-ce le résultat de la mondialisation, qui devrait viser une croissance commune vers plus de justice dans le monde?
La pandémie de la Covid-19 a prouvé que nous sommes tous sur le même bateau, où personne ne peut se sauver seul. C’est devenu une confrontation avec la nécessité de parvenir à une plus grande coopération au niveau mondial. Apparemment, on a très peu appris de la crise financière passée et on est rapidement revenu à la mentalité individuelle. Quelle sera la prochaine étape à l’échelle mondiale, une fois cette pandémie surmontée? Sera-t-elle aussi vite oubliée, chacun retombant sur soi-même? Et dans la poursuite de la lutte contre la Covid-19 et la prévention contre celle-ci, les groupes dits « inutiles » seront-ils à nouveau placés en deuxième position? Ce sont des questions qui confrontent, que nous devons oser nous poser. Le seul moyen est de devenir une communauté où une entente mutuelle et la solidarité deviennent de véritables priorités.
Une autre souffrance sociale à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui est celle du problème des réfugiés. Jamais autant n’ont fui à la recherche d’une plus grande sécurité pour eux-mêmes et leurs familles. Bien entendu, dans le domaine de la politique mondiale, tout doit être fait pour que les gens puissent rester dans leur propre pays et ne pas avoir à fuir. Cela devrait être et rester la première option. Mais la réalité est différente. C’est pour cela que nous ne pouvons pas fermer les yeux sur ce drame mondial auquel nous sommes confrontés aujourd’hui. Surtout la façon dont ces personnes perdent leur dignité humaine et sont traitées de manière inhumaine. Les réfugiés ont-ils soudain moins de valeur, moins d’intérêt et moins de droits, précisément parce qu’ils sont des réfugiés? Nous nous rendons compte qu’ici nous sommes confrontés à un problème difficile, où la peur est souvent à la base de toutes sortes d’exclusion. Mais continuons aussi à voir le côté positif d’un plus grand échange interculturel et même interreligieux que cette migration peut entraîner.
Aujourd’hui, nous vivons de beaux jours dans le domaine de la communication. Mais ce grand progrès est-il toujours utilisé de manière positive? De nouvelles formes de pratiques criminelles émergent à travers ces médias, les dépendances personnelles et l’illusion qu’un monde virtuel peut remplacer le monde réel. Dans son sillage, nous voyons un individualisme croissant qui se manifeste, entre autres, dans la xénophobie qui vient d’être mentionnée et un mépris pour les faibles. Des plates-formes sont créées via Internet, où toutes les formes d’extrémisme peuvent être exprimées et également organisées. Le fait est que la communication virtuelle ne peut jamais remplacer les contacts personnels. La vraie sagesse se développe grâce à des contacts vivants avec la pleine réalité et non en surfant chaque jour sur Internet pendant des heures pour soi- disant recueillir des informations sans fin. On peut se demander si l’on ne perd pas la capacité de s’écouter mutuellement.
Un autre phénomène qu’il faut mentionner est la manière dont certains pays se comportent de façon supérieure aux autres et les dominent, freinant ainsi le développement local et leur imposant d’étranges idéologies qui contrastent fortement avec leurs propres traditions et morales.
Oui, c’est déjà en demander beaucoup, mais néanmoins une invitation urgente à ne pas mettre la tête dans le sable et faire semblant que ce ne sont pas nos affaires. La force du Pape François est précisément qu’il ne cesse de nous appeler à surpasser notre complaisance et à partager la responsabilité du bien commun. Un premier pas est de devenir de plus en plus conscient de la réalité, de manière objective et correcte sans se laisser entraîner par des faiseurs d’opinion qui ont d’autres intentions que de proclamer la vérité. Le plus grand mal qui survient ici est l’individualisme croissant qui se développe en un modèle politique et économique et qui mine la prise de conscience que nous sommes tous frères et sœurs les uns des autres et également responsables les uns des autres et du bien commun. Un premier mouvement et une première réflexion doivent toujours être: qu’est-ce que moi et ma communauté concrète dans laquelle je vis, avons à voir avec cela? Le danger est que nous nous cachions derrière l’excuse que nous ne sommes pas des politiciens mondiaux ou de grands industriels qui peuvent établir une tendance à cause du pouvoir et de l’argent qu’ils ont. « Changez le monde, commencez par vous-même » est un dicton bien connu qui s’applique également ici. Parce que nous voyons aussi de nombreux phénomènes, que nous voyons évoluer au niveau mondial et qui sont passés en revue ici, à petite échelle dans nos propres cœurs et dans les petites communautés dont nous faisons partie. Alors soyons suffisamment autocritiques et interrogeons-nous sur notre fraternité sociale et notre amour. Et ainsi nous passons au chapitre suivant qui veut approfondir cela.
Fr. René Stockman,
Supérieur général des Frères de la Charité.
Source: Site des Frères de la Charité.
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