Sainte Elisabeth de Hongrie
Conférences de Notre-dame de Paris, du Père Lacordaire, TOME DEUXIÈME, p. 424-425
Sainte Elisabeth de Hongrie, ayant abandonné le palais de ses pères et le palais de son époux, s’était confinée dans un hôpital pour y servir de ses mains les pauvres de Dieu. Un lépreux s’y présenta. Sainte Elisabeth le reçut et se mit à laver elle-même ses effroyables plaies. Quand elle eut fini, elle prit le vase où elle avait exprimé ce que la parole humaine ne peut pas même peindre, et elle l’avala d’un trait. Voilà, Messieurs, qui est parfaitement extravagant. Mais remarquez d’abord une chose que vous ne pouvez pas mépriser : la force. La force … c’est la vertu qui fait les héros, c’est la racine la plus vigoureuse du sublime en même temps que la plus rare. Rien ne manque autant à l’homme que la force, et rien n’attire davantage son respect. Vous n’êtes pas des êtres méchans, mais vous êtes des êtres faibles, et c’est pourquoi l’exemple de la force est le plus salutaire qu’on puisse vous donner, comme aussi l’un de ceux qui attirent le plus votre admiration. Sainte Elisabeth, en avalant l’eau du lépreux, avait donc fait un grand acte, parce qu’elle avait fait un acte fort. Mais il y avait là mieux que la force, il y avait la charité. Dans la sainteté, l’amour de Dieu étant inséparable de celui des hommes, puisqu’elle n’est autre chose que l’excès de ce double amour, il s’ensuit que, dans tout acte des saints, là où se trouve le sacrifice pour Dieu, ce sacrifice rejaillit inévitablement sur l’homme. Et quel était le bénéfice de l’homme dans l’action de sainte Elisabeth ? Quel était-il ? Me le demandez-vous bien ? Sainte Elisabeth faisait à cet abandonné, à cet objet d’unanime répulsion, même au milieu des siècles de foi, elle lui faisait une inexprimable révélation de sa grandeur, elle loi disait : « Cher petit frère du bon Dieu, si, après avoir lavé tes plaies, je te prenais dans mes bras pour te montrer que tu es bien mon frère royal en Jésus-Christ, ce serait déjà un signe d’amour et de fraternité, mais un signe ordinaire dont je te restituerais seulement le bénéfice, à toi qui depuis ton enfance en as été privé, à toi qui sur ta poitrine n’a jamais senti la poitrine d’une âme vivante ; mais, cher petit frère, je veux faire pour toi ce que l’on n’a fait pour aucun roi du monde, pour aucun homme aime et adoré. Ce qui est sorti de loi, ce qui n’est plus toi, ce qui n’a été à toi que pour être transforme en une vile pourriture par son contact avec ta misère, je le boirai, comme je bois le sang du Seigneur dans le saint calice de nos autels. » Voilà le sublime, Messieurs, et malheur à qui ne l’entend pas ! Grâce à sainte Elisabeth, pendant toute l’éternité, il sera connu qu’un lépreux a obtenu d’une fille des rois plus d’amour que la beauté n’en a jamais conquis sur la terre.
Jean-Baptiste-Henri-Dominique Lacordaire (1802-1861) était un prédicateur renommé et restaurateur de l’Ordre des Prêcheurs (les Dominicains) en France. Il était un grand ami de Frédéric Ozanam (en fait, il est l’auteur d’une biographie très intéressante sur Ozanam) et très proche de la Société de Saint-Vincent-de-Paul.
Image : Lacordaire, peint par Louis Janmot (1814-1892), ami de Frédéric Ozanam et l’un des premiers membres de la Société de Saint-Vincent de Paul.
*Source: R. P. H.-D. LACORDAIRE CONFÉRENCES DE NOTRE-DAME DE PARIS. TOME DEUXIÈME. Auteur : Jean Baptiste Henri Dominique Lacordaire.
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