Lettre de Carême 2024 du Père Tomaž Mavrič, c.m., à la Famille Vincentienne
Rome, le 18 février 2024
Premier dimanche de Carême
A tous les membres du Mouvement de la Famille vincentienne
ADORATION DU SAINT-SACREMENT
ETRE PASSIONNE DE JESUS
Chers frères et sœurs en saint Vincent,
La grâce et la paix de Jésus soient toujours avec nous !
Dans ma lettre du 27 septembre 2016, je nous ai encouragés à réfléchir sur saint Vincent de Paul en tant que « mystique de la Charité ». Depuis cette lettre, en nous appuyant sur les Règles communes et les Constitutions de la Congrégation de la Mission, nous avons médité sur ce qui faisait de lui un mystique de la Charité.
Au chapitre dix des Règles communes, concernant les fondements de notre spiritualité, saint Vincent suggère que dans l’Eucharistie, vous trouvez tout.
Dans le Saint Sacrifice de la Messe, Jésus s’offre à chaque instant quelque part dans le monde. La présence de Jésus sous les espèces du pain et du vin ne reste pas limitée au temps de l’Eucharistie mais nous est offerte par un don supplémentaire inestimable, présent 24 heures sur 24 dans les tabernacles du monde. Il ne s’agit pas d’une présence d’une demi-heure, ni d’une heure, mais de 24 heures par jour, jour et nuit. En passant devant une église, une chapelle, un lieu où se trouve un tabernacle et où Jésus habite, nous pouvons être complètement inconscients, ne pas remarquer ou ne pas nous rappeler celui qui là est présent, sous les espèces du pain, parfois juste à quelques mètres, ou même à portée de main. Des rappels physiques peuvent nous aider : « Pour ce qui est de la lampe devant le Saint-Sacrement, Jésus, mon Dieu ! il la faut voirement tenir allumée »,[1] mais encore faut-il y répondre.
Dans l’histoire de l’Eglise, depuis la première Eucharistie, lorsque Jésus s’est offert à la Cène sous les espèces du pain et du vin, il y a de nombreux exemples de miracles eucharistiques confirmant la présence réelle de Jésus dans l’Eucharistie ; de nombreux cas de personnes qui n’avaient besoin d’aucune autre nourriture que l’Eucharistie pour vivre ; d’innombrables conversions en raison de la présence constante de Jésus dans les tabernacles du monde. D’innombrables personnes ont passé et passent des heures et des heures devant le tabernacle ou pendant l’exposition du Saint-Sacrement, souvent sans rien dire, sans venir avec une liste de requêtes qu’elles ont l’intention de demander à Jésus, mais simplement pour être avec lui, rester dans le silence, donner à Jésus l’opportunité de parler quand il veut et de dire ce qu’il pense être approprié et nécessaire pour eux.
« Quand vous passerez par quelque village, vous saluerez l’ange gardien de ce lieu-là, et, à l’arrivée du coche, vous vous informerez où est l’église, si elle n’est pas trop éloignée. Pendant que l’une de vous s’arrêtera à l’hôtellerie pour voir s’il y aura une chambre, les autres iront adorer le Saint-Sacrement »[2].
Certaines paroisses, chapelles et communautés religieuses pratiquent l’adoration du Saint-Sacrement 24 heures sur 24. Parfois, un groupe, ou même une seule personne, veille à ce que Jésus ne reste jamais seul. Pour certains, la rencontre avec Jésus a lieu au milieu de la nuit, lorsque la plupart des gens dorment. Pour beaucoup d’entre nous, la question peut se poser : comment ces personnes peuvent-elles rester, non pas quelques minutes, mais des heures devant le tabernacle ou pendant l’exposition du Saint-Sacrement ? Comment peuvent-elles le faire ?
Deux réponses me viennent à l’esprit :
- CES PERSONNES CROIENT A LA PRESENCE REELLE DE JESUS SOUS LES ESPECES DU PAIN ET DU VIN.
- ELLES SONT PASSIONNEES DE JESUS.
Apprendre le catéchisme, participer à la Sainte Messe tous les jours ou tous les dimanches, assister à des conférences sur le thème de l’Eucharistie ou lire des livres sur ce sujet, etc. ne suffisent pas à nous amener à croire à la présence réelle de Jésus sous les espèces du pain et du vin et à être passionné de Jésus. Ce n’est que par la grâce, la miséricorde et l’amour inconditionnel de Jésus. Il attend 24 heures sur 24 que nous venions lui rendre visite dans le silence intérieur, que nous ouvrions nos cœurs et que nous attendions le moment qu’il jugera opportun pour nous communiquer ce qu’il veut.
Chacun de nous est invité à une réflexion personnelle : Où en suis-je par rapport aux deux points mentionnés ci-dessus ?
Dans le pèlerinage de la foi, il ne devrait pas être effrayant, décourageant ou même choquant de réaliser que je ne suis pas encore là où je voudrais être. Je ne dois pas être ébranlé par les doutes que je porte en moi depuis des années et des années. Le plus important n’est pas ce que je pense de moi-même, mais ce que Jésus pense de moi !
Jésus nous attend 24 heures sur 24, à tout moment, quel que soit l’état dans lequel nous nous trouvons, avec les doutes, les joies ou les peines que nous lui apportons. Saint Vincent conseille : « après avoir adoré le Saint-Sacrement et après lui avoir offert le travail qu’elles iront faire, elles lui demanderont la grâce de dire aux pauvres malades ce qu’il désire qu’il leur soit dit de sa part pour leur salut »[3].
Avec nos visites régulières à Jésus dans le tabernacle, avec notre adoration régulière du Saint-Sacrement, Jésus commence à abattre les murs et les obstacles, et commence à nous remplir de sa paix intérieure, ouvrant nos cœurs pour faire de nouveaux pas vers le moment où nous serons capables, sans hésitation, de lui répondre positivement. Saint Vincent en donne un exemple très concret : « or, quand on dit quelque chose de malhonnête que nous avons peine à supporter, il ne faut point répondre, mais élever son cœur à Dieu pour lui demander la grâce de souffrir cela pour l’amour de lui, et aller devant le Saint-Sacrement dire votre peine à Notre-Seigneur »[4].
En écrivant ces lignes, je reconnais la distance qui me sépare des deux points mentionnés ci-dessus. Je suis convaincu que, pour nous tous, une réponse positive est la condition fondamentale d’une conversion durable qui entraîne avec elle tous les autres moyens spirituels qui nous aident dans notre pèlerinage.
Je voudrais présenter l’exemple d’un laïc que j’ai rencontré il y a quelques années à Rome. Son témoignage de vie reflète de manière extraordinaire les deux points mentionnés ci-dessus.
Il s’appelle Arnoldo, il est marié et a trois enfants. Il est très connu en Italie et au-delà. Il est issu d’une famille italienne prestigieuse. En tant que philosophe, écrivain, poète et entrepreneur, son avenir était prometteur. Or, il a tout abandonné pour se consacrer à une fondation appelée « Maison de l’esprit et des arts ». Sa femme et leurs trois enfants, âgés de 14, 12 et 9 ans, l’entendent dire : « Désolé, je dois aller parler à Jésus ». Voici quelques-unes de ses réflexions sur Jésus, l’Eucharistie et l’amour de Dieu[5] :
Au fil des années, toujours et chaque jour, ou du moins d’innombrables fois, il y a cette relation avec le Christ, présent dans l’Eucharistie… Il est vraiment présent dans le monde. Il respire dans le monde. De chaque tabernacle.
Je crois que c’est l’amour de Dieu qui me touche. Et cela me surprend toujours. Quand je m’y attends le moins, quand je me sens le moins digne de son amour, il me touche, me tend la main, me fait réaliser combien il m’aime. C’est toujours lui qui nous tend la main… Je pense que Dieu est un amoureux qui « se tient toujours à notre porte », attendant que nous la lui entrebâillions.
La rencontre avec le Christ vous marque à jamais. C’est comme une blessure ouverte. Quand le Christ nous frappe, nous blesse, l’homme commence à mourir d’amour, à être consumé par l’amour… Je suis seulement sûr d’être amoureux de lui, parce qu’il m’a touché, parce que je sens que cette « plaie ouverte » donne un sens à la vie, parce que personne ne m’a jamais touché aussi profondément que lui, personne n’est descendu au plus profond de mon esprit, en le caressant, comme le fait le Christ.
Lui, dans le tabernacle, lui, présent dans l’Eucharistie, descendant au fond de l’âme pour la désaltérer… L’Eucharistie, pour ainsi dire, infuse le corps et l’esprit d’une sève secrète, elle active une seconde circulation dans laquelle circule un sang mystérieux, un sang d’amour.
Le Christ dans l’Eucharistie est toujours sur la croix et en même temps ressuscité : il continue à se donner, jusqu’à la fin des temps, pour sauver chaque être humain… La croix et l’Eucharistie sont deux « scandales » absurdes pour la mentalité du monde parce qu’ils révèlent le sommet suprême de l’amour… L’Eucharistie agit sur la conscience humaine et la transforme en amour.
La communion est avant tout une expérience, et non un rituel, et une expérience suppose une relation, une volonté, une intelligence et un cœur face à une présence de Dieu, que l’on croit être Dieu par la foi.
Si je ne communie pas durant quelques jours, l’Eucharistie me manque. L’Eucharistie est un besoin, on ne peut pas y résister. Enlevez-moi tout, mais pas l’Eucharistie. Aucune tentation, aucun péché ne peut me faire renoncer à l’Eucharistie.
Adoration du Saint-Sacrement, visite à Jésus au tabernacle
Inspirés par les nombreux exemples de personnes dont le témoignage nous aide à approfondir notre foi personnelle en la présence réelle de Jésus dans l’Eucharistie et notre amour de Jésus, nous sommes invités à utiliser ce temps spécial de l’année liturgique, le Carême, comme un temps de grâce extraordinaire en préparation du Jubilé du 400ème anniversaire de la fondation de la Congrégation de la Mission et du Jubilé de toute l’Eglise, afin de prendre des mesures concrètes à cet égard. Que l’Eucharistie devienne pour tout le Mouvement de la Famille vincentienne, chaque congrégation, chaque association de laïcs, ainsi que pour tous ceux qui vivent la spiritualité et le charisme vincentiens sans appartenir à aucune branche de la Famille, toujours plus le centre et l’inspiration de ce que nous sommes.
Je voudrais remercier toutes les communautés, les groupes et les personnes individuelles qui organisent déjà régulièrement une adoration communautaire du Saint-Sacrement, ainsi que des visites personnelles à Jésus présent au tabernacle. Pour les communautés qui ne pratiquent pas l’adoration hebdomadaire du Saint-Sacrement, j’aimerais les encourager à commencer à la faire en ce temps de Carême et à en faire une pratique de prière régulière. Les groupes de laïcs peuvent organiser l’adoration du Saint-Sacrement selon leurs possibilités dans les paroisses ou chapelles où ils se réunissent. D’autres personnes qui n’appartiennent pas à une branche spécifique peuvent voir où elles peuvent se joindre à l’adoration du Saint-Sacrement. En dehors de l’adoration du Saint-Sacrement, Jésus nous attend dans le tabernacle 24 heures par jour. Comme chaque congrégation et association de laïcs de la Famille a un tel désir que ses membres augmentent en nombre et en sainteté, Jésus ne restera certainement pas indifférent à notre demande.
Que Notre Dame de la Médaille Miraculeuse, saint Vincent de Paul et tous les Saints, Bienheureux et Serviteurs de Dieu du Mouvement de la Famille vincentienne intercèdent pour nous !
Votre frère en Saint Vincent,
Tomaž Mavrič, CM
[1] Coste II, 604-605 ; lettre 817 à Claude Dufour à Saintes, le 4 juillet 1646.
[2] Coste X, 554-555 ; conférence 100, A quatre Soeurs envoyées à Calais, 4 août 1658.
[3] Coste XIII, 766 ; document 186, Sur la préparation des malades de l’Hôtel-Dieu à la confession générale (1636).
[4] Coste X, 185 ; conférence 74, Sur l’amour des souffrances physiques et morales (Règles communes, article 6), 23 juillet 1656.
[5] Ces pensées sont tirées du livre, Arnoldo Mosca Mondadori et Monica Mondo, Il farmaco dell’Immortalità, Dialogo sulla vita e l’Eucaristia [Le Médecin de l’immortalité, Dialogue sur la vie et l’Eucharistie], Scholé, Editrice Morcelliana, Brescia, 2019. Il s’agit d’un entretien avec Monica Mondo réalisé par Arnoldo Mondadori.
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